#balancetonporc et après

J’ai toujours montré mon soutien et pris parti sur des affaires de viol et agressions sexuelles. Parce qu’il faut que la honte change de camp et que la parole se libère.

Pourtant, depuis quelques jours, je me sens mal à l’aise.
Suite au déferlement de #balancetonporc sur les réseaux sociaux.

J’ai peur qu’on mélange tout: viols, agressions sexuelles, harcèlement de rue, drague lourdingue, drague tout court.

J’ai  peur qu’on banalise par la  parole quelque chose qu’on a banalisé depuis des décennies par le silence.

J’aurais pu, moi aussi, balancer mes porcs. Les porcs. Des porcs.

Je n’y arrive pas.
Parce que le porc n’agit pas à la vue de tous bien souvent. Et que ce sera sa parole contre celle de la victime. Quand viendra le moment de prouver que celle ci n’était pas consentante alors que lui affirmera qu’elle l’était. Parce qu’on va vouloir mettre la confusion entre ce qui était une agression violente dominatrice et un acte sexuel. Parce qu’on peut éventuellement parler quand il s’agit d’une agression, mais qu’on propose de se taire quand on  nous fait croire qu’il s’agit de sexe.

Et puis parce que je ne sais pas comment raconter en quelques mots sur twitter une histoire qui bouleverse la vie.
Alors je ne vais rien raconter.

Parce qu’elle l’a déjà raconté des dizaines de fois et que ça s’est terminé en une crise de nerf effroyable. Toujours.
et qu’il faudra, à chaque fois, des jours, voire des semaines, pour que les corps cicatrisent les mots.

Parce qu’il y a le viol, le calvaire d’un instant de vie. Et puis toute la vie après le viol.
Il y a les mots qui faut mettre sur des maux insupportables.
Il y a la culpabilité.
Le traumatisme.

Il y a la vie.

Le déni. Dont il faut sortir.
Il y a tout ce qu’on a lu, écouté, compris mais qu’on ne comprend pas quand ça arrive.

Il y a la plainte. Les réflexions sordides. les mises en doute. Les remises en question. Les confrontations. Les pleurs. Les cauchemars. Les crises d’urticaire géant. Les saignements. Le corps qui hurlent quand le silence est trop pesant.

Il y a la vie.

Qu’on veut construire. Reconstruire. Pour défier. Pour être plus forte. Pour prouver.

Il y a la confiance qu’on perd. Qu’on retrouve un peu et qu’on perd à nouveau.
Un blouson rose, des fleurs. Pour égayer, pour sourire quand on ne souris plus.

Alors, il faut dénoncer. Porter plainte. Parce que peut être ça aidera à se reconstruire. Parce que le viol est un crime et que les criminels doivent aller en prison.
Alors oui, il faut empêcher que ça arrive. Quand on voit qu’une enfant, une femme sont en danger.

Il faut intervenir.
Je vous en veux parce que vous n’avez rien fait pour empêcher cela. Vous saviez qu’il était dangereux et vous n’avez pas voulu vous interposer parce que vous êtes des lâches.
Ne soyons plus  lâches. Soyons courageux, dans la vraie vie, pas seulement derrière son clavier.

Il faut aujourd’hui, enfin, que l’on forme le personnel dans les commissariats, les magistrats, les avocats.

L’avocate a dit « n’en parlez à personne, parce que tout le monde s’en fout »
Elle a raison.
On a aujourd’hui une empathie éphémère pour un tweet, une histoire qui concerne des gens que l’on ne connait pas. Et l’on ne prend même pas de nouvelle d’une amie, nièce, cousine qui vit cela dans le silence.

Alors les réseaux sociaux, vous m’emmerdez. Parce que je sais que vous monterez en puissance pendant quelques semaines et que tout cela retombera aux oubliettes. Qu’elles seront toujours bien seules quand elles auront le courage d’aller déposer plainte et qu’elles seront toujours bien seules devant les juges et les jugements de tous.
Après le jugement même.

Je ne veux pas accuser tous les hommes d’être des gros porcs.
Mon mari, mes fils, mon père ne sont pas des porcs. Et plein d’autres.

Je veux avoir confiance à nouveau.
Je veux qu’elle ait confiance à nouveau.

Je veux que la colère s’apaise.

Soutenez et écoutez vos filles, vos soeurs, vos amies, vos compagnes.
La solitude, l’indifférence et le silence sont la pire punition qu’on afflige aux victimes de viol.

Que tu te taises ou que tu parles, tu es condamnée… à te sentir coupable. Parce qu’on te fera sentir que tu l’es. Toujours.
Parce qu’une femme est toujours coupable d’avoir suscité l’envie. D’avoir souri, d’avoir mis une jupe, d’avoir porté des talons, d’être jolie, d’être venue, de n’avoir pas dit non, de n’avoir pas dit oui.

Les criminels accusés de viol iront aux assises. Seront jugés et condamnés.
Je ne peux pas l’imaginer autrement.

Pour Elle, pour Elles. Pour nous.

La lutte contre les violences faites aux femmes passent par la justice et l’éducation et l’éducation de la justice.

Je ne serai pas vulgaire. Je ne veux pas être comme qu’ils sont.
Alors je n’utilise pas ce hashtag.
Parce que la guérison est longue et ce hashtag ne guérira rien.

 

3 Commentaires

  1. Je suis tout a’ fait d’accord avec toi – je n’etais pas a’ l’aise avec l’hashtag « balance ton porc » et je dirais même que je le trouve contre-productif.
    En revanche, j’espère que tu saches a’ quel point ton soutien au cours de mon procès m’a aidé. Je t’en remercie encore.

    1. Libérer la parole, ça peut être aussi entre nous, pas forcément sur les réseaux sociaux et c’est important de se confier. Je sais ce que tu as pu endurer et j’espère que tu pourras te remettre loin d’ici. Bises

  2. Chère Isabelle,

    que de vérité(s), que de réalisme dans ton texte !

    Moi aussi j’emmerde les réseaux sociaux (c’est un peu bien sûr de la provoc) et je me tourne davantage vers la vraie vie où les vraies gens ont besoin de vraies solutions !
    Amitiés
    Katty

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